E. Thümmler: Eine intellektuelle Biographie Waldemar Gurians

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Titel
Katholischer Publizist und amerikanischer Politikwissenschaftler. Eine intellektuelle Biographie Waldemar Gurians


Autor(en)
Thümmler, Ellen
Reihe
Nomos Universitätsschriften Politik 178
Erschienen
Baden-Baden 2011: Nomos Verlag
Anzahl Seiten
278 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Joris Lehnert

L’ouvrage présenté ici, version remaniée d’une thèse en science politique soutenue à l’université technique de Chemnitz en 2010, n’est que la deuxième monographie consacrée à Waldemar Gurian (1902–1954), quarante ans après la thèse d’habilitation de l’historien Heinz Hürten (Waldemar Gurian. Ein Zeuge der Krise unserer Welt in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, Mainz 1972). Contrairement à l’approche de ce dernier, qui s’intéressa avant tout à Gurian comme personne réunissant en lui les expériences et les ruptures du vingtième siècle et qui l’analysait comme un témoin de la résistance chrétienne face à la menace totalitaire, Ellen Thümmler se donne ici comme but une relecture de son oeuvre, plus ou moins oubliée comme elle le note à propos. Celle-ci doit constituer la matrice principale de sa biographie intellectuelle. L’éthique intellectuelle que développa Gurian dans ses travaux de publiciste est le point de départ de son étude: à partir de la méthode de Gurian qu’elle met au centre de sa réflexion (une analyse historico-sociologique des faits qu’il étudie, toutefois toujours en fonction de sa propre grille de lecture morale), son but est d’en retracer l’évolution. Le chapitre introductif («Gurian als Publizist und Wissenschaftler») permet de resituer la place primordiale qu’occupe la fonction de publiciste (catholique) dans la pensée du converti Gurian, fonction à laquelle il a consacré un opuscule en 1931. Il permet également de souligner sa vision du monde, centrale pour la compréhension de son oeuvre: depuis la Révolution française, la société européenne connaît une sécularisation continue («Zeitalter der Säkularisierung»). Et en raison de la réduction du rôle et de la place de la foi dans la société contemporaine, le processus de politisation de cette même foi ne va qu’en s’accélérant. Le publiciste catholique doit donc s’investir activement dans la crise frappant la société (la modernité), reconnaître le fondement divin de l’Eglise et surtout la protéger du danger qui la menace (sa politisation):
l’Eglise ne doit pas être célébrée comme le creuset politique de l’ordre social. A partir de cela – et c’est la thèse principale d’E. Thümmler – découle l’image de Gurian comme un «type particulier de l’intellectuel du vingtième siècle» (20) chez qui autant le publiciste libre de toute contrainte académique (Schriftsteller) que l’universitaire (Wissenschaftler) cohabitent. Ainsi, l’année 1937 qui voit Gurian émigrer aux Etats-Unis où il occupera un poste de Professor for Political Science à l’Université Notre Dame, ne constitue pas une rupture dans sa biographie intellectuelle: devenu universitaire (et américain), Gurian n’en demeurera pas moins un publiciste (catholique). Certes, l’émigration, d’abord en Suisse en 1934, puis aux Etats- Unis, l’oblige à adapter sa réflexion dans la forme et dans le contenu, mais les analyses du publiciste catholique allemand qu’il était continuent d’affleurer et sont à la base de ses analyses d’universitaire en science politique (avec comme exemple fructueux la théorie du totalitarisme). Pour autant, pour E. Thümmler la personne et l’oeuvre de Gurian ne peuvent être réduits au simple milieu catholique allemand de la République de Weimar ou à la résistance au national-socialisme. Dans sa démarche, elle interroge sa distance critique (manquante) vis-à-vis de ses objets d’étude et le rôle de sa propre «morale», empreinte de la nécessité d’un renouveau éthique mais désengagée de prise de position politique. La structure de l’ouvrage suit un plan purement chronologique s’intéressant aux publications de Gurian, entrecoupé toutefois d’un chapitre consacré à la relation entre Gurian et Carl Schmitt (96–122). Si Waldemar Gurian est aujourd’hui connu, c’est en effet souvent en lien avec ses relations avec Schmitt: ancien de son séminaire et de son cercle à l’université de Bonn (où Gurian étudia), il est également à l’origine de l’expression qualifiant Schmitt de «Kronjurist du troisième Reich», la fortune de celle-ci contribuant grandement à forger l’image d’un Gurian «élève ingrat, méprisant et cherchant à se venger» (121). L’auteure (par ailleurs éditrice avec Reinhard Mehring de la correspondance Schmitt/Gurian, cf. Schmittiana. Neue Folge. Band I, 2011) offre donc une place importante à cette relation qu’elle étudie sous trois angles: la relation privée, le côté humain et la relation théorique. Ainsi, pour ce dernier point, l’oeuvre de Gurian sur la République de Weimar (dont elle souligne à plusieurs reprises la qualité de «Nicht-Jurist») n’est en fait à lire qu’en fonction de ses rapports avec Schmitt, dont il étudia jusqu’à son départ pour les Etats-Unis la pensée et le rapprochement avec le national-socialisme. Du point de vue privé, si la rupture définitive ne se laisse pas dater avec précision, celle-ci semblant plutôt être la conséquence de multiples facteurs – notamment humains – même si elle en ressort certains (par exemple la recension par Gurian de l’ouvrage d’Hugo Ball, Die Folgen der Reformation, en janvier 1925), elle a eu lieu bien avant l’arrivée au pouvoir des nationaux- socialistes, dès 1927/28. Les autres chapitres (de longueur inégale) présentent chronologiquement les ouvrages de Gurian (voire ses principaux articles), les idées développées et le contexte de leur rédaction. Si cette façon d’aborder la biographie intellectuelle surprend, elle est en grande partie due à la biographie même de Gurian, les différentes étapes de sa vie correspondant à des thèmes particuliers auxquels il cessa ensuite de se consacrer. Par ailleurs, cette organisation permet une approche rapide et concise de ces différentes publications. De même, la pensée de Gurian se nourrissant de ses travaux successifs, la méthode a son sens. Dans le chapitre consacré à la thèse de philosophie de Gurian («Zur deutschen Jugendbewegung»), l’auteure met ainsi en évidence la base de ses prochaines études (la recherche du «sens» et de l’ «essence»). A la différence de l’analyse de Heinz Hürten, elle analyse par ailleurs la relation de Gurian avec Max Scheler (son directeur de thèse) comme une relation maîtreélève (avant leur éloignement de la fin des années 1920), qui se retrouve dans la reprise par Gurian de l’idée développée par Scheler de rechercher les évolutions historiques et sociales dans les phases de rupture et dans l’apparition des crises.

Ses travaux de publiciste allemand consacrés au nationalisme français (l’Action française), au fascisme italien, au nouveau nationalisme de la République de Weimar et au bolchévisme démontrent un même souci de sa quête de la «métaphysique» à la base de ces mouvements visant à détruire la société libérale et démontrent surtout le tiraillement de Gurian entre «fascination et critique» pour ses objets d’étude. Concernant son «oeuvre française» de la fin des années 20 et du début des années 30, le mérite d’E. Thümmler est justement d’analyser ici ce tiraillement vis-àvis de Maurras (bien né en 1868 comme indiqué p. 66 et non en 1869, p. 48), en particulier en raison de sa critique du désordre du monde et du libéralisme, de l’accent mis sur l’autorité, l’esprit et l’ordre dans une période de crise aiguë où tous ces principes étaient vécus comme en train de disparaître. Ces points développés par Maurras exerçaient sur l’antilibéral qu’était Gurian une attraction forte. Sa position définitive vis-à-vis de l’Action française (et qu’il différenciait des enseignements du maurrassisme), ne s’établira ainsi qu’en 1929. Il analysait l’Action française, en qui il voyait un «laboratoire politique », non pas comme une affaire purement franco-française mais comme la représentante d’un nouvel état d’esprit européen – à la fois attirant et repoussant –, comme un «potpourri » de diverses idéologies politiques à portée universelle. Toutefois, concernant l’intérêt porté par Gurian au catholicisme et au nationalisme français ainsi qu’au fascisme italien, à leurs désirs d’ordre et d’autorité, l’auteure souligne qu’il s’agissait là surtout d’un appel à se pencher sur l’évolution de la situation allemande, ce que Gurian fera luimême (et pas forcément avec succès dans ses conclusions) dès 1932. Emigré en Suisse dès 1934, il continua, en scrutant particulièrement la politique religieuse nationale-socialiste, puis émigra une troisième fois, à l’invitation du président de l’université catholique de Notre Dame. Egalement spécialiste de la Russie soviétique et russophone de naissance (il émigra, juif russe de Saint-Pétersbourg, avec sa mère et sa soeur en 1911), il en fera finalement son champ de spécialisation universitaire comme professeur de science politique après avoir écrit deux ouvrages consacrés au bolchévisme (1931 et 1935) qui l’avaient déjà établi comme expert. Les derniers chapitres sont ainsi consacrés à sa spécialisation universitaire dans la continuité de ses analyses en tant que publiciste: relations internationales (en particulier l’évolution de l’Europe et de l’Allemagne), Union soviétique, guerre froide, totalitarisme.

Si cet ouvrage est particulièrement intéressant dans la mesure où il présente – entre autres – de façon concise les oeuvres de Gurian, il amène à s’interroger sur son point de départ («nouvelle lecture des oeuvres») et particulièrement sur la place accordée aux autres sources dans la démarche d’une biographie intellectuelle. Ainsi, E. Thümmler souligne la nécessité d’une étude approfondie de la correspondance Gurian-Arendt et note le volume particulièrement important de la correspondance de Gurian (182 correspondants recensés dans le fond Gurian). Dans son introduction, si elle précise qu’elle laissera s’exprimer des maîtres, amis ou collègues et les nomme (Romano Guardini, Max Scheler, Carl Schmitt, Karl Thieme, Hannah Arendt), leur apport semble assez limité dans la démonstration. Ainsi, l’étude de la correspondance Gurian-Maritain aurait peut-être permis de nuancer certaines conclusions, voire de mettre en lumière autrement le parcours intellectuel de Gurian. En effet, si la place accordée à la relation avec Schmitt occupe une place importante, celle consacrée à «l’amitié avec Jacques Maritain» (à peine trois pages) est dérisoire et l’étude de cette relation n’est que survolée rapidement. L’auteure cite bien une correspondance entre les deux, mais surtout étalée entre 1935 et 1953, elle l’exclut toutefois volontairement de son champ d’étude. Or, celle-ci commença bien auparavant, à l’initiative de Gurian, qui se rendit par la suite plusieurs fois à Paris (comme le note bien E. Thümmler), fréquentant notamment les Maritain à Meudon. D’ailleurs, elle précise aussi que Carl Schmitt profita des liens de Gurian avec Maritain pour faire traduire son ouvrage Politische Romantik en 1928. Si l’auteure a raison de souligner que Maritain deviendra un «modèle» pour Gurian (72), il aurait certainement été profitable de s’interroger plus en avant sur ses liens avec le philosophe néo-thomiste français et sur la signification réelle de ce modèle dans l’évolution de la pensée de Gurian. Car, si E. Thümmler avance les réserves de Gurian vis-à-vis de la position de Maritain envers l’Action française, elle note également que non seulement le philosophe, mais aussi son parcours le fascinent mais ne développe pas plus ce point: la question de la place et de l’influence de Maritain dans le processus personnel d’évaluation de l’Action française n’est pas abordée réellement. Remarquons ici que la citation de Carl Schmitt de la note 458 (100) est malheureusement coupée. En effet, dans sa réponse à Armin Mohler, celui-ci complète sa description (peu flatteuse) de Gurian d’une phrase qui disparaît malencontreusement derrière des crochets: «Er gehört jetzt zu Maritain» (il ajoute également le nom du père jésuite et géopoliticien Edmund Walsh). Ainsi, à travers l’usage de la correspondance, il aurait peut-être été possible de dresser une biographie intellectuelle plus ouverte aux influences extérieures, ne se limitant pas au rôle de Carl Schmitt (même s’il est fondamental), s’inscrivant dans un réseau intellectuel particulier qu’il aurait aussi été intéressant d’esquisser. Enfin, même si l’auteure précise bien qu’elle n’interroge pas la place de Gurian aujourd’hui, un intérêt plus grand accordé à la portée et la réception de ses oeuvres aurait certainement aidé à souligner leur spécificité: aujourd’hui encore, ses livres sur le catholicisme français et l’Action française (par exemple) demeurent cités en bibliographie de nombreux ouvrages.

Concernant la forme, nous nous autoriserons ici une triple critique. En premier lieu, il est dommage que la relecture ait été faite aussi rapidement. Ainsi, de trop nombreuses fautes gâchent la lecture («siind», 33; «Beoabachter», 183, etc.) jusqu’à produire parfois des phrases incongrues («[...], dass die päpstliche Autorität die traditionelle Ordnung und Einheit und der französischen Nation im Kampf mit der Dritten französischen Repblik wiederherstellen könne», 43; «Schmitt sei bereit gewesen sei», 98). L’oeil du lecteur francophone est particulièrement mis à mal, entre les fautes d’accord (ex: «le débats», 221), d’accent («matiére», «progrés», 43 etc.), les noms propres écorchés (Mauraas, 66; Roussau, 85) et autres anglicismes («Primauté du spiritual», «Lettres sur l’indépendence », 268 etc.). De même, il aurait sûrement été avantageux pour le lecteur d’organiser la bibliographie différemment: tous les ouvrages consultés sont simplement listés par ordre alphabétique, indifféremment de l’époque ou du thème. Sachant les divers thèmes étudiés par Gurian, ce n’est pas lui faciliter la tâche. Enfin, mais c’est là certainement plus un problème d’éditeur que d’auteur(e), il est extrêmement dommageable qu’un tel ouvrage universitaire soit publié sans le moindre index.

Hormis ces brèves remarques quant au contenu et à la forme de l’ouvrage, le mérite d’E. Thümmler est, avec celui-ci, double. En plus de l’apport de ses conclusions sur l’originalité de l’oeuvre polymorphe de Waldemar Gurian, sur la question de l’origine et de la continuité de sa réflexion intellectuelle en tant que publiciste catholique puis universitaire américain, elle a aussi, quarante ans après, redonné une place de choix dans la recherche universitaire à cette figure intellectuelle catholique, à la fois saisissante et complexe.

Zitierweise:
Joris Lehnert: Rezension zu: Ellen Thümmler, Katholischer Publizist und amerikanischer Politikwissenschaftler. Eine intellektuelle Biographie Waldemar Gurians, Baden-Baden, Nomos 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 106, 2012, S. 749-752.

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